QUELQUE deux mois plus tard, par un matin frisquet de décembre, je sortis, avant déjeuner, sur le perron du « Vallon ». La petite ville s'étendait, tranquille, à mes pieds. A contempler son panorama familier, l'idée de notre proche départ me donna une pointe de regret. Trois ans, nous avions vécu en ce lieu. C'est à Tredegar que nous avions connu vraiment les joies du foyer et qu'était né Vincent, notre fils. Le travail que j'avais fourni ne m'avait pas permis d'atteindre un échelon bien élevé dans l'échelle sociale ou professionnelle. Je ne portais pas redingote et col dur, mais leggins et souliers cloutés. J'entrais le plus souvent sans frapper chez mes clients. Je n'étais pas à vrai dire un « médecin traitant » puisque je pouvais toujours décourager le faux malade par quelques mots bien sentis. Et pourtant, je m'étais fait des amis parmi ces mineurs et ces employés des houillères avoisinantes. On ne me payait jamais d'honoraires. Un chèque m'était envoyé par la Socièté à la fin de chaque trimestre. Mais, à Noël, je recevais des preuves de considération. L'un m'offrait une couple de poules ou de dindons, l'autre une livre de beuree sortant du moule, un troisième une douzaine d'œufs frais... Je ne dois pas oublier de mentionner la vieille Mrs. Griffiths que j'avais guérie (pas complétement, pour être honnête) de ses rhumatismes, et qui passa en sautillant le pont, la veille de Noël, pour nous apporter, avec ses bénédictions, une belle oie bien grasse.
  Il y avait dans cette gratitude quelque chose qui m'émouvait profondément. Alors, pourquoi partir? La plupart de mes condisciples de la Faculté s'étaient déjà installés définitivement en province. Mais, chez moi, il y avait un besoin d'aller de l'avant que je ne saurais nier. Le mois précédent, j'avais envoyé ma démission. Dans dix jours, nous serions loin.