.......... Le peuple romain sous l'Empire. ..........
Le peuple de Rome, ce qu'on appelait plebs, ne haïssait pas les plus mauvais empereurs. Depuis qu'il avait perdu l'empire, et qu'il n'était plus occupé à la
guerre, il était devenu le plus vil de tous les peuples : il regardait le commerce et les arts comme des choses propres aux seuls esclaves, et les distributions de blé qu'il recevait lui
faisaient négliger les terres : on l'avait accoutumé aux jeux et aux spectacles. Quand il n'eut plus de tribuns à écouter ni de magistrats à élire, ces choses vaines lui devinrent nécessaires, et
son oisiveté lui en augmenta le goût. Or Caligula, Néron, Commode et Caracalla étaient regrettés du peuple à cause de leur folie même; car ils aimaient avec fureur ce que le peuple aimait, et
contribuaient de tout leur pouvoir et même de leur personne à ses plaisirs; ils prodiguaient pour lui toutes les richesses de l'empire; et, quand elles étaient épuisées, le peupple voyant sans
peine dépouiller toutes les grandes familles, il jouissait des fruits de la tyrannie, et il en jouissait purement, car il trouvait sa sûreté dans sa bassesse. De tels princes haïssaient
naturellement les gens de bien : ils savaient qu'ils n'en étaient pas approuvés; indignés de la contradiction ou du silence d'un citoyen austère, enivrés des applaudissements de la populace, ils
parvenaient à s'imaginer que leur gouvernement faisait la félicité publique, et qu'il n'y avait que des gens mal intentionnés qui pussent le censurer.
(Grandeur et décadence des Romains,. XV), by MONTESQUIEU